10 novembre 2024

Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant, coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ?

Alger est en liesse ce jeudi 5 juillet. Dans les rues, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants défilent en brandissant le drapeau vert et blanc, frappé de l’étoile et du croissant rouges. Perchés sur les voitures, entassés sur des camions, juchés sur des mobylettes, accrochés aux fenêtres et aux portières des autobus, ils sillonnent les artères de la Casbah, de Bab el-Oued et de Belcourt en scandant « Tahya Djazaïr » : Vive l’Algérie ! Après cent trente ans de colonisation française et sept ans d’une terrible guerre, l’Algérie accède à son indépendance. « Ce fut une fête énorme, tonitruante, formidable, déchirante, d’un autre monde, écrivait Jules Roy dans Mémoires barbares. Des hauts de la ville jusqu’à la mer, les youyous vrillaient le ciel. C’était la nouvelle lune, comme en juillet 1830, lorsque les troupes du général de Bourmont étaient entrées dans Alger. Pour nous qui partions, c’était la lune de deuil. » À vrai dire, cette lune de deuil pour les uns, ce jour de gloire pour les autres, commence le 18 mars 1962, à Évian en France. C’est là que les ultimes pourparlers entre le FLN (Front de libération nationale) et les représentants du gouvernement français s’achèvent en fin d’après-midi. Krim Belkacem, ministre des Affaires étrangères du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie, négociateurs désignés par le général de Gaulle, procèdent à la signature des accords d’Évian. Le soir même, à Tunis, le président algérien Benyoucef Benkheda peut ainsi proclamer triomphalement cette « grande victoire du peuple algérien ». À Paris, au même moment, de Gaulle annonce la fin des opérations militaires et l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu sur tout le territoire algérien à compter du lundi 19 mars à midi. Exténués par de longues années de combat, les maquisards déposent les armes, heureux de regagner leurs douars et leurs villages. Les dirigeants politiques algériens, eux, n’en finissent pas de s’entre-déchirer dans une impitoyable course au pouvoir. La guerre est finie, mais une longue période de désillusions et de batailles fratricides commence. Les Français partent par milliers, abandonnant terres et biens, tandis que les Algériens se réapproprient leur pays. De son côté, l’OAS (Organisation armée secrète), constituée en février 1961, refuse d’abandonner « l’Algérie française » et jure de tout mettre à feu et à sang. En attendant le jour de l’indépendance, l’Algérie connaîtra des moments glorieux, mais vivra aussi des heures dramatiques. Le 8 avril 1962, les Français de métropole approuvent à une large majorité – 90,7 % de oui – les accords d’Évian. De ce scrutin, de Gaulle tirera la conclusion qui s’impose : « Le référendum règle le problème algérien. » Le 1er juillet, les Algériens votent à leur tour. À la question : « Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant, coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ? », 99,7 % des votants répondent favorablement. Une page d’histoire se tourne. Alors qu’à Paris, à l’issue du Conseil des ministres du 3 juillet, le général de Gaulle reconnaît solennellement l’indépendance de l’Algérie, les ministres du GPRA débarquent à Alger en provenance de Tunis. Escorté par des motards, le cortège traverse la ville pour rejoindre le centre de la capitale. Tout au long d’un parcours de 20 kilomètres, une foule immense brandit une forêt de drapeaux et acclame ses héros. Et lorsque la délégation officielle accède au siège de la préfecture d’Alger, le ministre Saad Dahlab s’exclame : « Cette préfecture, nous y entrions il y a quelques années, mais les menottes aux mains. » C’est la fin d’une longue nuit coloniale. Le 5 juillet, la foule poursuit les célébrations.

Le lendemain, comme pour appeler le peuple à retrousser ses manches, les journaux annoncent la reprise du travail. En vain. Les Algériens descendent de nouveau dans les rues pour manifester leur joie. Le peuple a tellement soif de liberté qu’il ne prête guère attention aux bruits de bottes qui résonnent à l’ouest du pays. Là, Ahmed Ben Bella achève de sceller son pacte avec l’armée avant d’entamer sa marche sur Alger pour conquérir le pouvoir.

Kacem.

 

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