Ils sont des dizaines, voire des centaines de personnes qui pour des raisons diverses se sont retrouvées sans abris et qui, contrairement à une idée préconçue présentant ces SDF comme étant des marginaux, des cas rencontrés ne souffrent que d’un concours de circonstances défavorables.
Il est 18 h de ce mercredi hivernal et les membres d’une famille qui nous a autorisé de passer la nuit avec eux à condition que leur noms ne soient pas divulgués, dignité oblige, se retrouvent après une journée de labeur et même d’études. Oui, les enfants suivent une scolarité normale et le garçon, âgé de 11 ans et même brillant même si son école est très loin de son lieu de « résidence ». « On préfère s’éloigner du l’établissement étant donné que, si au cas où nos conditions de vie seront connues, mes enfants en souffriront », a tenu a préciser le père de famille qui s’affaire déjà à mettre en place quelques paillassons et des cartons pour passer la nuit. Il les a ramené de chez un riverain qui a voulu aimablement garder ce « matériel de fortune » durant la journée avant sa récupération le soir. Dans un sac, a mère sort des casse-croûtes et une bouteille d’eau et tend à chacun à sa part. Le père, soucieux de cette situation pour ne pas voir le bout du chemin, se force à donner l’impression à ses enfants que tout va bien en les invitant à leur parler de leurs cours et leurs devoirs. Les deux chérubins répondent à leur père qui revient sur des données générales sur les leçons de la journée. Ces explications nous donnent déjà un aperçu sur les réelles capacités intellectuelles du chef de famille, une manière pour nous lancer un message.
« Nous ne sommes pas des marginaux »
La mère aussi se met de la partie pour nous signifier qu’ils sont là pour des problèmes de cohabitation et ils assument la responsabilité car le choix est réfléchi. « nous ne voulons surtout pas que les gens s’apitoient sur la situation de centaines de gens qui vivent dans la rue, mais qu’ils sachent que nous ne sommes ni des marginaux, ni encore moins des coupes gorges », dira la dame des larmes aux yeux en ajoutant : « il est vrai que nous devions vivre normalement sous un toit, mais les circonstances sont ce qu’elles sont et la société est impitoyable ». Un peu plus loin deux jeunes ont pris place sous un préau et selon notre hôte, ce sont des habitués du coin et ils viennent d’une autre wilaya après avoir fugués. Il paraîtrait également que ce sont des frères, qui refusant le diktat de leur belle mère, ont choisi la fugue e attendant des jours meilleurs et pourquoi pas, renchérit notre interlocuteur, qui ayant une foi inébranlable en dieu, que personne n’est né riche ou pauvre, mais les choses peuvent changer. Les deux jeunes aménagent leur espace et mettant des cartons qu’ils ont cachés en haut d’un arbre. Ils s’assurent que le parterre est bien sec pour éviter que les cartons étalés en guise de « matelas » de fortune se mouillent. Ils prennent place l’un a coté de l’autre et sortent des sandwichs qu’ils dévorent discrètement avant de s’allonger. Un d’eux allume une cigarette et le regard vers le ciel semble avoir changé de galaxie. Chez nos hôtes, c’est le moment de se mettre au « lit », les enfants d’abord sur un semblant de matelas et deux couvertures pour ne pas prendre froid. Il est 22h. les deux anges dorment déjà et une discussion s’anime entre nous trois. Si la dame n’intervient que rarement, le père lui, revient sur plusieurs épisodes de sa vie et les jours meilleurs qu’il avait passés avant de sombrer. « Je préfère cette situation que d’être interné dans un centre d’accueil, car là-bas, si on vous sert un repas chaud et vous êtes sous un toit, en revanche vous perdez tout ce qui peut être cher chez un être humain : la liberté », explique le père en insistant sur la dignité qui reste dans tous les cas figure, non négociable. Il revient sur une expérience vécue dans un centre public et qui l’a marqué à vie en raison des brimades, voire des humiliations qu’il a subies avant de prendre la fuite et ce au moment où les membres de sa famille étaient temporairement chez un proche. Ces derniers n’ont pas accepté cette situation en choisissant d’être ensemble, aujourd’hui pour le pire, et demain pour le meilleur. Dans cette artère, grouillante de monde, durant la journée, c’est le calme total et les lumières des maisons avoisinantes s’éteignent l’une après l’autre. Un moment de répit, explique le père, mais la vigilance reste de mise étant donné que des gens malintentionnés et sans scrupules osent même agresser des gens aussi malheureux que nous comme si les déboires de la vie ne nous suffisaient pas. Cependant, fait remarquer notre interlocuteur, le nombre d’agressions a diminué. La mère de famille s’endort son tour et devra se réveiller vers 4h du matin avant et permettre au père de se reposer. Une sorte de garde, nous explique ironiquement notre homme. Un autre SDF qui a pris place a quelques encablures se joint à nous, qui pour ne pas perturber le sommeil des autres, avons pris le soin de nous éloigner.
Le regard des autres
Entrant dans le vif du sujet et sans transition, le dernier venu insiste sur le fait que les sans abris ne demandent pas de la pitié, mais du respect. Ce respect de l’autre doit nous guider dans notre comportement quotidien. Je préfère des paroles douces que d’être gratifié d’un repas avec un regard de supériorité car, qu’on le veuille ou non, la grandeur d’une personne n’est ni sa richesse ni encore moins son rang social, mais ce sont ses valeurs humaines. Une analyse, terre à terre, mais qui nous renseigne sur les capacités de cet homme à la quarantaine. Il mérite tous les égards vu qu’il se prend en charge et n’attend rien de personne et qui travaille dur pour survivre. « je préfère vivre dans ces conditions, certes dures, que de subir le diktat des autres, quitte a crever un jour et mon corps servira pour la science, si jamais je peux être utile », a-t-il affirmé avec force. Il est 4h c’est l’heure de la relève et le père de famille se blottit à côté de ses enfants. Vers 5h, les premiers passants se manifestent et le père se lève pour aller au café du coin ramener des laits chauds aux enfants et des tasses de café pour nous trois. Il dira, un sourire aux lèvres : « j’espère que vous avez passez une bonne nuit avec nous et que vous reviendrez un jour chez nous mais dans de meilleurs conditions ».
Mahdi Djamel