11 novembre 2024

Un système infernal qui rebute les compétences

Depuis quelque temps, nous pataugeons dans l’incertitude politique avec ces présidentielles. Chaque groupe, mouvement ou «clan», voudrait imposer son homme à la tête du pays en excluant les autres, renvoyant aux calendes grecques le vote, le choix des citoyens, traduisant ainsi que la plupart ne croient pas aux élections, mais à la fraude qui entache souvent les scrutins. Ce qui arrive actuellement est la suite logique de 36 ans d’exclusion des cadres, des élites. Les meilleurs cadres, de niveau universitaire, des entreprises publiques, de la fonction publique, mais aussi des institutions, n’ont jamais été autorisés à dépasser le poste de sous-directeur, de chef de département, de chargé d’études, de chef de service. Seuls les «khobziztes» (comme on dit), les soumis, les dociles, les obéissants, les serviles passent, obtiennent les avantages et les promotions. Dans toute ma carrière dans la fonction publique et les entreprises, je n’ai jamais vu un cadre reconnu pour ses compétences, son sérieux et son honnêteté, dépasser les postes cités ! J’ai même vu un ingénieur «bloqué» dans son poste de «chef de service» dans une grande entreprise d’Etat durant toute sa carrière au «motif», tenu secret, qu’il fallait «le garder à son poste, car il ne pouvait être remplacé». Lorsqu’il a «découvert» cela sur sa fiche, il a fait valoir ses droits à la retraite «proportionnelle» pour s’installer à son compte. Dans une institution, on s’est même permis de nommer «directeur régional» un jeune nouveau venu (de 8 ans d’expérience, dont 5 ans dans cette institution) au lieu de ses chefs, des cadres universitaires, de 20 ans d’expérience (dont au moins 12 ans dans cette même institution). Pourquoi ? Parce qu’il est parent d’un «ponte» du système. Un autre cadre s’est plaint de la quantité de travail importante qu’on lui ramène et qui n’est pas de ses attributions malgré les recrutements. On lui répond qu’il n’y avait pas un autre capable de faire ce travail. En refusant, il a été rétrogradé et remplacé par son subordonné, tout en lui laissant le… même travail ! Des milliers d’exemples. On parle maintenant de délivrance de faux diplômes universitaires. Des gens on fait aussi des études supérieures sans… le bac. Mais cela existe depuis l’indépendance. Des «manipulations» se déroulent aussi à l’université, pour le passage, pour le diplôme et pour les bourses d’études à l’étranger. Beaucoup, aussi, de «concours» et autres «examens» ne sont plus que formalité ; souvent des moyens détournés pour recruter les leurs. Mais qui doit vérifier ? Voilà où mène l’incompétence de ceux qui dirigent. Voilà les conséquences ou les effets pervers de la rente pétrolière qui fait l’objet d’une course effrénée, à qui mieux mieux. Aucun responsable, quels que soient «sa compétence» ou son poste, n’a pu y mettre un terme, car cela déborde de partout ! La presse signalait déjà ces contradictions depuis des années quand c’était déjà «limite», quand l’immobilisme, la discrimination, l’injustice et l’informel faisaient loi en décourageant les vraies compétences et quand c’est l’incompétent qui «réussi» dans la confusion.
Aucun pays dans l’histoire ne s’est développé sans les compétences. Les dirigeants incompétents ramènent l’incompétence en neutralisant les compétences. Même les rares cadres compétents à qui l’on avait donné une parcelle de «pouvoir» dans des secteurs bien précis, où l’on ne pouvait pas faire autrement, on n’a pas prévu leur relève et dans la précipitation, on les a remplacés par les incompétents qu’ils avaient «sous la main». En fait, c’est presque général ; c’est tous les secteurs qui sont touchés. Toutes les compétences avérées sont systématiquement écartées, cernées ou laminées au point où la majorité a fait valoir ses droits à la retraite (souvent vite acceptée) ; une occasion à ces compétences tourmentées et rejetées d’abandonner le «navire», laissant les institutions et les entreprises d’Etat dans leurs contradictions insensées. Le pourcentage des cadres compétents sortis volontairement en retraite dite «proportionnelle» doit être effarant. Il s’agissait bien, pour eux, de fuite. Beaucoup travaillent maintenant à leur compte ou recrutés ailleurs avec considération. Même le privé n’est d’aucun secours puisqu’il est contaminé par les mêmes travers, les mêmes convoitises, les mêmes cupidités. Qui, des cadres algériens compétents et honnêtes, n’a pas été confronté à ces genres de situations injustes. Qui n’a pas subi l’arbitraire, la persécution, la mise à l’écart ? Qui ne s’est pas plaint à la tutelle, dénonçant les abus, sans suite ? Qui n’a pas poursuivi en justice son employeur ou a été poursuivi lui-même par ce dernier ? Qui n’a pas été abusivement licencié et défié par l’employeur d’aller «porter plainte» ? Qui n’a pas effleuré les troubles psychotiques du fait de la violence du milieu professionnel ? Après 36 ans dans cette politique d’exclusion, il est logique que l’Algérie se retrouve sans élite, sans compétence en fonction, sans relève !
Tous ceux qui s’exhibent actuellement, encore responsables ou à la retraite, pour se porter candidats à la présidentielle ou pour soutenir, ont participé à cette politique d’exclusion ou l’ont encouragé. Devant ce vide, il est évident que ce soit les «caciques» qui reviennent pour prétendre au pouvoir jusqu’à leur disparition. Ils ont presque tous plus de 75 ans d’âge. Comme ils sont du même «moule», cela laisse douter de leur enthousiasme à faire mieux et différemment. Nous pensons qu’ils se complètent, pas concurrents ; pourvu que le pouvoir reste entre eux avec ses privilèges et loin d’eux l’idée de la transmettre aux générations montantes. C’est la même logique que dans les systèmes «autoritaristes» révolus tel l’URSS ; sans toutefois ce problème des compétences. Même s’ils voudraient le transmettre, ils ne trouveront pas d’élite compétente disponible pour les relever. Nous sommes bien dans l’impasse.
Aussi bien Bouteflika que les autres candidats, que l’on met en avant, font partie du même système fatal qui ne se perpétue que par l’exclusion et la disponibilité de la rente. Aucun n’est prêt à vouloir le changer même s’il le souhaite, car ce système est altéré. Il corrompt l’homme. Tout dirigeant ou responsable ne peut le devenir sans ce système. Chaque système a ses hommes et chaque homme adopte le système qui le parraine et le protège, d’où la difficulté. Un cercle vicieux infernal dont la cause principale est cette funeste rente dont la gestion reste et restera problématique, jusqu’à sa disparition un jour ! Quelle personnalité pourra inverser les choses en imposant les valeurs universelles reconnues ?
Nasser

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