Conférence du Dr REFFAS Driss à l’occasion de la célébration du 180iem anniversaire de la Moubayaa « Qu’est il arrivé le 21 décembre 1847 »
Dans le cadre des festivités culturelles, qui marquèrent la célébration du 180ieme anniversaire de la Moubayaa, auxquelles prirent part d’éminents historiens de la région Ouest au nombre de « neuf », qui les un après les autres, apportèrent par leur importantes communications, d’enrichissants sujets au grand plaisir d’une assistance très nombreuse en soif de connaissance sur l’histoire de l’Emir Abdelkader.
A cet effet, Sidi bel abbès était représentée par deux excellents « historien et chercheur », en l’occurrence, le docteur HANI Abdelkader dont nous avons publié au cours de notre édition du 28-11-2012, une communication intitulée « Les archives de l’Emir Abdelkader » et particulièrement, l’excellente intervention du Docteur REFFAS Driss, qui a merveilleusement, présenté ,un excellent sujet relatif aux questionnements se rapportant à une période très singulière de l’histoire de l’Emir, intitulée « qu’est il arrivé le 21 décembre 1847 » , que nous présentons ci dessous.
Nous signalerons, que les magnifiques prestations des représentants de Sidi bel abbès ont honorées aussi bien la Wilaya, et la cellule de la Fondation de Sidi bel Abbès, de par la qualité de leurs interventions .
Avant de se lancer dans sa communication, le Docteur REFFAS Driss, avançait qu’il était du devoir des historiens et des chercheurs de dire et d’écrire la vérité historiques en la mémoire de l’Emir Abdelkader, fondateur de l’état Algérie Il affirmait passionnément que la révolution de l’Emir Abdelkader représente le détonateur de toutes les révolutions qui l’ont succédées, jusqu’à la Révolution du 1er novembre, ou les moudjahiddines, s’étaient inspirées de la détermination de l’Emir à combattre l’occupant français depuis son adolescence.
« Que s’est-il passé le 21 décembre 1847 »
Par le Dr.D.REFFAS
Une question qui taraude les esprits de nombreux historiens et hommes de culture qui s’intéressent à l’Emir Abdelkader. Un évènement qui n’a pas à ce jour dévoilé les éléments qui ont poussé le rapprochement de l’Emir au général Lamoricière, ou le contraire, c’est à dire le travail de proximité (peut- être) entamé par les français depuis l’année 1846 au niveau des tribus et hommes de confiance de l’Emir pour l’amener à déposer les armes. A la lecture de beaucoup d’ouvrages sur l’épopée de l’Emir Abdelkader, particulièrement les deux auteurs qui font l’unanimité auprès de nos historiens à savoir, Alexandre BELLEMARE et Charles Henry Churchill , on remarque une similitude dans la narration des évènements, notamment le récit sur les derniers jours de l’Emir à la frontière Algéro-Marocaine. Des faits importants qui ne passent pas inaperçus, entres autres le « ralliement des deux frères de l’Emir » au général Lamoricière, et la décision prise par l’Emir, de déposer sa Deïra au-delà de la frontière, en Algérie colonisée afin de lui permettre d’être sous la protection de l’armée française.
Deux évènements ont affecté El Hadj Abdelkader depuis son arrivé au royaume du Maroc :
1-La bataille livrée(Isly) par le souverain du Maroc à Bugeaud, sans tenir compte des conseils de l’Emir qui misait sur cette force pour faire face une nouvelle fois à l’armée coloniale, et redonner confiance aux tribus.
2- La signature du traité de Tanger après la défaite humiliante (bataille d’Isly), qui obligeait le sultan Moulay Abderrahmane de pourchasser l’Emir du sol Marocain.
Ces deux faits ont complètement chamboulé les nobles desseins de l’Emir. Le Sultan du Gharb, craignait son hôte très apprécié par la majorité des tribus Marocaines. Et pourtant l’Emir, dans le traité de la Tafna, il s’est déclaré le Khalifa du Sultan dans le territoire Algérien. L’Emir raconte au général Daumas : « J’ai eu la pensée, dit-il, de me mettre à la tête de toute cette population qui avait suivi ma fortune, d’appeler à moi tous les musulmans qui, ennemis de la domination des chrétiens, n’auraient pas voulu la supporter davantage, et de nous acheminer ainsi tous, par terre, vers la Mekke, vivant en amis avec ceux qui nous auraient accueillis en amis, et passant sur le corps de tous ceux qui se seraient montrés hostiles. Qui aurait pu, chez les arabes, résister aux vieilles bandes qui vous avaient si souvent combattus, vous dont la réputation pour la poudre est si grande dans le monde entier ? C’eut été un beau spectacle à donner à l’univers, que celui d’aller restituer à leur berceau les arabes qui, douze siècles auparavant, en étaient sortis pour conquérir l’Afrique et ne voulaient plus y rester depuis qu’elle était tombée sous la domination des chrétiens.(3) » Un projet qui n’a pas vu le jour malgré une sincère disponibilité de l’Emir au sultan du Gharb qui le redoutait malheureusement.
Devant cette situation inattendue, l’Emir Abdelkader décida de mener encore une ultime fois le combat dans son pays. Après une première tentative d’incursion en février 1845 qui se solda par un échec, l’Emir profitant stratégiquement de l’absence du général Bugeaud, réussit à franchir la frontière vers le milieu du mois de septembre de la même année. Malgré une victoire éclatante (bataille de Sidi Brahim), l’Emir en parcourant une partie du pays du Tell vers le sud n’a pas trouvé l’engouement tant espéré au niveau des tribus qui lui étaient fidèles par le passé. Les tribus étaient gagnées par la fatigue et la misère. Aussi, l’effectif de son armée diminuait de bataille en bataille, et ses mouvements étaient gênés par le nombre considérable de blessés. Il faut noter qu’après le départ de l’Emir vers el Gharb, la France a déclenché une répression et un travail psychologique très profond au niveau de la population qui soutenait l’Emir. Le maréchal Bugeaud confirme ( extrait du Mémoire du Maréchal du 24 novembre 1845 au ministre de la guerre-P 334 – la vie d’Abdelkader-C.H.Churchill) : « Peut-on courir partout à la fois ? Peut-on parer tous les aiguillons ? Peut-on mettre 100.000 hommes à la poursuite d’Abdelkader ? Evidemment non ! Mais on peut poursuivre et atteindre les populations qui lui fournissent des cavaliers et des ressources…D’ici deux ou trois mois, les tribus seront aux abois, elles auront perdu beaucoup d’hommes, de troupeaux, de silos ; et l’Emir ne trouvera partout que misère et désolation…Une guerre de cette nature ne peut se terminer que par une action incessante de toutes nos colonnes , et, disons-le, car il faut que la nation le sache, en ruinant les arabes et en tuant en détail leurs principaux guerriers…Les tribus sont entre l’enclume et le marteau, il faudra de toute nécessité que leur ruine s’achève…Il n’ya que l’épuisement totale des arabes qui pourra obliger Abdelkader à se retirer de nouveau dans le Maroc… » Après une campagne de onze mois à travers le pays, du Tell au sud, l’Emir a fait un constat des plus amères, tant sur la situation des tribus que militaire. Le 18 juillet 1846, il traversa la frontière pour regagner sa Deïra.
Pourquoi le Sultan du Maroc n’a réagi militairement, juste après le traité de Tanger pour obliger l’Emir à quitter les terres du Royaume ? Et, dire que le traité a été signé le 10 septembre 1844. La seule action entreprise au début, c’était la lettre adressée par le sultan à l’Emir lui ordonnant de se rendre à Fès pour se livrer. Un coup d’épée dans l’eau.L’Emir se cantonna dans un silence méprisant. Quant à la question d’une intervention militaire, il est probable que le sultan a été conseillé par ses vainqueurs de ne pas s’aventurer face une armée organisée, aguerrie et expérimentée, et de surcroît à sa tête un grand chef militaire. Aussi, Il ne faut pas oublier que l’Emir était très estimé par la plus part des tribus du Maroc, particulièrement celles du Rif, farouches opposantes au régime. A cette période bien précise, on pouvait imaginer qu’à travers une action militaire, l’Emir aurait pu s’installer à Fès. Une situation qui pouvait compliquer davantage la présence de la France en Algérie.
Presque trois ans après le traité de Tanger, profitant d’une situation bien particulière à savoir ,la situation peu reluisante qui prévalait au niveau de la Deïra et de la cavalerie de l’Emir, et la reddition du Khalifa Sid Ahmed Bensalem khalifa du Sebaou en février 1847( un évènement inattendu pour l’Emir, et bien particulier dans sa mise en œuvre.), la France obligea le sultan du Gharb à valider l’accord signé par ses soins. Bien que diminué psychiquement, l’Emir bien appuyé par les tribus du Rif annihila la première tentative de l’armée Marocaine conduite par l’un des fils du Sultan, Moulay Hicham qui parvint à s’échapper.
Concernant la reddition du khalifa du Sebaou, l’Emir Abdelkader n’a à aucun moment pris la décision de condamner le geste, ni de prononcer un jugement contre lui . A travers les différentes lectures, je reprends celle mentionnée à la page 140 de l’ouvrage de B.Bessaïh– De Louis Philippe à Napoléon III, l’Emir Abdelkader vaincu mais triomphant- : « Au mois de février 1847, Sidi Ahmed Bensalem khalifa du Sebaou, avait fait sa soumission à condition qu’il serait transporté en Orient avec sa famille et tous ceux qui voulaient l’accompagner. Le maréchal Bugeaud ayant souscrit à cette condition, mit à la disposition de l’ancien khalifa un bâtiment de l’état, qui alla le prendre à Dellys. Au moment de s’embarquer, Bensalem écrivit une lettre à Abdelkader pour se justifier du parti qu’il avait pris. Dans cette lettre, il se louait beaucoup de la manière dont la France avait tenu sa promesse, il engageait son ancien maître, dans le cas où il se verrait réduit à imiter son exemple, à avoir confiance dans la parole des français. Cette lettre avait fait sur l’Emir une grande impression. »
Bugeaud à travers le khalifa Bensalem a réussi à atteindre l’Emir qui était peut-être prédisposé à un acte pareil, lui qui était dans une situation trop embarrassante. Est-ce que l’Emir a tenu compte du conseil de son khalifa ?
Après la première bataille contre l’armée Marocaine, l’Emir voulant à tout prix arrêter l’effusion du sang entre deux peuples de même race et de même religion, a envoyé son meilleur ami le khalifa Bouhmidi comme messager auprès du sultan. Bouhmidi fut emprisonné et plus tard assassiné. Une armée de 36000 hommes fut envoyée par le sultan à sa tête deux de ses fils. A cette force militaire se sont jointes les tribus du Rif qui ont lâché l’Emir. A travers cette confrontation militaire (malheureusement face à une armée arabe au service du Roi Philippe) on peut garder :
–L’Emir Abdelkader a subi lors de cette confrontation la coalition de deux armées (Marocaines et françaises), en plus du ralliement des tribus du Rif.
– Son plan d’attaque a été dévoilé à l’ennemi (trahison ou infiltration),
– L’Emir après la dernière expédition en territoire occupé qui a duré presque 12 mois, et la première confrontation face à Moulay Hicham , son effective s’est réduit à 800 hommes d’infanterie et 1200 cavaliers en manque de munitions. Une armée fatiguée, et atteinte moralement d’une part par les trahisons que subissait leur Emir, et d’autre part par la situation sociale inquiétante de la Deïra( manque de ravitaillement, maladies…). Malgré les difficultés qui s’affichaient à tout instant, Les hommes ont tenu tête pendant plusieurs jours à l’avancée de l’armée de coalition.
Pourquoi l’Emir a décidé de faire traverser la Deïra en Algérie colonisée ?
L’Emir, se trouvant dans une impasse désespérée, a décidé de sauver sa Deïra des mains du Sultan du Gharb qui aurait pu perpétrer un massacre. Peut-être pensait-il que la reddition de la Deïra à Lamoricière était beaucoup plus sécurisante, entre les mains d’un ennemi qu’il avait appris à estimer. Où bien, il était prédisposé à faire comme son khalifa du Sebaou, et dans ce sens, il était obligé d’abord de garantir la sécurité de sa Deïra, et par la suite regrouper sa famille, et ses proches collaborateurs pour un éventuel départ vers l’Orient. A titre de rappel, quatre vingt dix sept personnes ont embarqué avec l’Emir du port de Ghazaouet.
Le général décrit la traversée de la Deïra : « Le 21(mois de décembre 1847), dit-il commence à traverser la Moulouya pour venir dans la plaine de Trifa. Un combat opiniâtre s’engage, plus de la moitié des fantassins réguliers et la meilleure partie des cavaliers y sont tués ; mais le passage s’exécute sans que les bagages soient pillés. Le soir, à cinq heures, les fantassins réguliers sont dispersés ; la Deïra a passé le Kis, est en entrée dans notre territoire. Les Marocains cessent de la poursuivre….J’étais convaincu, et je ne me trompais pas, que la Deïra venait de faire sa soumission. »
Les évènements qui se sont produits pendant ce jour fatidique, sont soumises à un débat :
1-Probablement que l’Emir a saisi le message transmis par son khalifa Bensalem sous l’œil attentif de Bugeaud qui a mis à sa disposition un navire pour transporter sa famille en Orient. Dans cette vision, vraisemblablement que l’Emir a peut-être décidé de libérer sa Deïra de 5000 personnes. Ainsi, sa négociation serait axée seulement sur le départ de sa propre famille, ses Khalifa, Aghas, divers collaborateurs et domestiques.
Revenons à la « proposition » du khalifa Bensalem, et apprécions le commentaire (p.141) de B.Bessaïh dans son ouvrage – l’Emir Abelkader vaincu mais triomphant- : « Si les autorités françaises avaient en effet respecté leurs engagements, c’est sans doute pour trois raisons essentielles :
-Offrir à l’Emir une démonstration éclatante du respect de la parole donnée vis-à-vis d’un de ses lieutenants,
– Ensuite les égards entretenus vis-à-vis d’un lieutenant seraient accrus pour un chef aussi prestigieux qu’Abdelkader,
-Enfin saisir cette occasion pour inspirer à ce même lieutenant une lettre à son sultan dans laquelle il l’engageait à imiter son exemple dans le cas où il serait réduit un jour à le faire. C’est ce qu’on appelle devancer les évènements. »
Dans le même ordre, évaluons le discours de l’Emir destiné à ses fidèles compagnons la nuit du 21 décembre 1847 : « La lutte est finie, dieu en décidé ainsi. Nous devons nous rendre à l’évidence. Nous avons combattu quinze années durant, pour sauver notre peuple de la domination chrétienne ; que puis-je faire encore en restant dans ce pays alors que la cause est perdue…Les tribus elles mêmes sont fatiguées de la guerre. Elles furent tour à tour frappées par mon sabre et celui de l’ennemi…La seule question qui reste à trancher est la suivante :Faut-il se soumettre aux chrétiens ou à Moulay Abderahmane. Vous pouvez choisir ce qui vous parait le plus convenable. Quant à moi, mon choix est fait. Je préfère capituler devant l’ennemi que j’ai combattu et à qui j’ai infligé bien des défaites, plutôt qu’à un musulman qui m’a trahi. Je réclamerai de me rendre en terre musulmane, avec ma famille, et ceux d’entre vous qui voudront me suivre. » Et pour consolider son choix et dissiper le doute vis-à-vis de la volonté des français à respecter leurs engagements, il ajouta : « …D’ailleurs, n’ont-ils pas agi correctement avec le khalifa Bensalem au mois de février dernier. » Si l’Emir a nommé le sultan du Gharb de traître, pourquoi ne l’a-t-il pas fait pour son khalifa ?
2- La reddition des deux frères aînés pose deux possibles éventualités qui restent à discuter à savoir :
a)- Sur injonction de l’Emir pour garantir l’âman de sa Deïra auprès de Lamoricière, et faciliter les discussions sur les conditions de son départ.
b)- Reddition instantanée des deux frères pour diminuer de l’ardeur de l’Emir, l’obligeant à entamer des discussions sur son départ (un appui au message du khalifa Bensalem). Dans ce cas, qu’elle a été la position de la mère, la personne la plus proche de l’Emir ?
Au même titre que le khalifa Bensalem, l’Emir n’a pas condamné ses deux frères. Au contraire, ces deux derniers ont pris place avec lui dans le même navire, et ont vécu en parfaite harmonie avec l’Emir au niveau des différents lieux de détention (Lamalgue, Pau et Amboise) en terre de France.
Concernant le maréchal Bugeaud, l’artisan de la reddition de l’Emir, s’agit-il d’une démission (à quelques mois de la reddition de l’Emir), ou d’une mise à la retraite forcée ? Le maréchal qui a honoré ses engagements vis-à-vis du khalifa Bensalem, a été remplacé par le fils du roi, le duc d’Aumale. J’insiste sur ce point, car si le Duc d’Aumale a approuvé les engagements pris par le général Lamoricière, il a précisé à l’Emir que l’avis du roi et de son gouvernement demeuraient prépondérants. Peut-être que le prince voulait insinuer à l’Emir, que Bugeaud avait à faire à un lieutenant (utilisé comme appât), et non pas à un chef militaire et homme d’état, où les approches ne sont pas du tout les mêmes.
Enfin, quel a été le rôle du lieutenant Boukhouia, chef de camp du général Lamoricière, ce jour du 21 décembre 1847 ? Peut-être que cet officier arabe, envoyé semble-t-il par le général à la tête d’un groupe de spahis pour empêcher l’Emir à gagner le désert(si comme 20 spahis pouvaient barrer la route à l’Emir, ses khalifa et khayalas !!), a réussit à convaincre l’Emir de la disponibilité de Lamoricière à accepter ses conditions de reddition. Trop de zones d’ombre dans la reddition de l’Emir Abdelkader. Je termine mon exposé, en posant la dernière question : Est-ce que l’Emir, à travers son autobiographie a relaté fidèlement les faits qui se sont produits la journée du 21 décembre 1847 ?
Abdelkader, sa vie politique et militaire– Alexandre Bellemare.Editions BOUCHENE..
La vie d’Abdelkader- Charles Henry Churchill.Editions ENAG.
Abdelkader, vaincu mais triomphant-Boualem Bessaih-Editions CASBAH.
Le temps d’une halte– Abdelaziz Farah-Editions APIC.
-Abdelkader-Quelques documents nouveaux, lus et approuvés par l’officier en mission auprès de l’Emir-1900– Marie D’Aire née Boissonet- imprimerieYvert et Tellier-Amiens.
Par Dr D.Reffas