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Arabie Saoudite: La Mecque du totalitarisme.

Le Serviteur des deux Saintes Mosquées, Sa Majesté le roi Abdallah ben Abdelaziz, est contrarié.

Certains pays bafouent les droits de l’homme, et leurs régimes se maintiennent illégitimement au pouvoir. Sa Majesté en est fortement affectée, comme l’a fait savoir ce 18 juin le ministre saoudien de l’Information au terme du conseil tenu par Leurs Excellences les ministres et consacré à la Syrie de Bachar al-Assad. Sa Majesté dénonce avec véhémence ceux qui livrent des armes au despote. 

Un communiqué en apparence exemplaire, à un bémol près… Il nous provient de Riyad, capitale des non-droits de l’homme et surtout de la femme. Il émane d’un royaume qui expose sur ses places publiques les pendus de la veille. Le monarque règne seul sur le Majlis al-Choura, l’Assemblée consultative. Pas d’opposition, même au tapis. Le seul scrutin autorisé est celui des municipales. Pas de syndicats. Pas de société civile. Si des tweets commencent à gazouiller sur les réseaux sociaux, leurs auteurs se retrouvent illico au cachot. Le Coran est la seule constitution, flanqué de cette compilation catastrophique d’interdits séculaires : la sunna. Réécrite à la sauce wahhabite. 

Le wahhabisme, c’est l’exception saoudienne anticulturelle. Une doctrine prêchée au XVIIIe siècle, près de l’oasis Wadi Hanifa, au nord-ouest de Riyad, par le cheikh Ibn Abdelwahhab. Cet homme-là était un antitout : antifemmes, antibijoux, antisaints, antichansons, antichiites, antimausolées, anti-Européens, anti-non-Européens. Il se disait uniquement pro-Mahomet et professait que la majorité des musulmans trahissaient le Prophète. En conséquence, ils devaient se convertir à ses prêches ou être passés au fil de l’épée. Tout le monde prenait Abdelwahhab pour un farfelu. De plus, il n’avait pas d’épée. Malheureusement pour le destin de l’islam, il croisa en 1745 la piste de l’émir Mohammed al-Saoud, petit chef de guerre assoiffé de rapines. Le pirate des sables flaira l’aubaine. Coaché par ce cagot, l’émir allait galoper, plus loin que le Nadjd, l’Arabie centrale, vers le reste de la péninsule. La dynastie Saoud était née.

 

POUR LE MALHEUR DE L’ISLAM

Moins de trois siècles plus tard, sa religion d’Etat, celle du sinistre Abdelwahhab, a essaimé dans tout le monde musulman. C’est à la propagande saoudienne, financée par la découverte des puits de pétrole en 1938, qu’on doit la défaite de la pensée islamique, le voile collé-serré sur le front des jeunes filles, d’Orient en Occident, persuadées d’être «nues» sans ce bout de chiffon. C’est l’Arabie saoudite qui a enfanté le jihadisme (Ben Laden), avant de le dénoncer au lendemain du 11 septembre 2001. C’est l’Arabie qui traque le terrorisme chez elle – le jihad est rentré au bercail – tout en le finançant à nouveau dans sa dernière édition salafisto-révolutionnaire. Raciste, analphabète, obsédé, tache de boue sur la brillante civilisation islamique qui aima et philosopha de Bagdad au Caire et de Cordoue à Constantinople, le wahhabisme a fondu sur les musulmans comme une malédiction. 

Aujourd’hui cette Mecque du totalitarisme se proclame le défenseur et le mécène des révolutionnaires arabes. Même si Ben Ali, l’ex-dictateur tunisien qui y a atterri dans la nuit du 14 janvier 2011, coule à Djedda une retraite paisible ! Talonnée par le Qatar, son rival, opulent moustique, l’Arabie livre des missiles sol-air aux groupes salafistes de l’insurrection syrienne. Le mot «démocratie», dont l’usage local est prohibé, est autorisé pour la question syrienne sur les ternes plateaux d’une télévision servile. 

«Ce deux poids, deux mesures fait rigoler, raconte Farida, une Algérienne expatriée à Djedda. Mais c’est l’actualité en Iran qui porte un coup au régime : le 7 juin, beaucoup de Saoudiens étaient scotchés devant la chaîne iranienne d’information continue en langue arabe Al-Alam. Fascinés par le débat télévisé entre les candidats à l’élection présidentielle ! Un débat inimaginable en Arabie !» Le grand ennemi chiite iranien donnait ce soir-là la preuve qu’on pouvait débattre plus librement à 250 km des côtes saoudiennes. Le 15 juin, la victoire de Hassan Rohani, élu président avec 50,9 % de suffrages transparents, laissait les commentateurs saoudiens encore plus muets que d’habitude. 

Pourtant, la dictature wahhabite a été constamment protégée par l’Amérique, qui négocia en février 1945 avec le roi Ibn Saoud l’exploitation des champs pétrolifères. Cajolée par la France aussi : on se souvient du discours obséquieux, prowahhabite et antilaïque de Nicolas Sarkozy, le 14 janvier 2008 à Riyad. Actuellement, c’est encore la bienveillance générale. Le vieux roi Abdallah – 88 ans – serait un grand réformateur. D’ailleurs, fait-on observer, les femmes ont obtenu le droit de vote pour 2015. 

Il y a sans doute du vent dans les voiles et de la contestation sous l’abaya. Quelques téméraires, comme la féministe Manal al-Sharif, osent revendiquer le droit de conduire et de se débarrasser du «gardien» sans lequel aucune Saoudienne ne peut sortir de chez elle. Mais c’est que le statut misérable des femmes et leur claustration coûtent un prix exorbitant. Et l’Arabie saoudite est pauvre ! 

Oui, pauvre malgré son rang de premier producteur mondial de pétrole repris de justesse fin 2012 à la Russie. On y compte 30 % de chômeurs. Pauvres comme les habitants des HLM de Taïef, comme les gamins des faubourgs de Riyad dans une vidéo iconoclaste qui valut quinze jours de prison aux jeunes qui la diffusèrent. La monarchie féodale gouvernait en inondant son cher peuple des revenus de l’or noir comme tous les roitelets de la région. Mais l’Arabie, avec ses 28 millions d’habitants et son territoire immense, n’est pas un de ces émirats dont la population totale se résume à celle de nos villes moyennes. Le non-modèle économique, fondé depuis des décennies sur le recours aux travailleurs étrangers, arrive à son terme. 

Un choix délirant qui a fait dépendre la marche du pays de 8 millions d’immigrés, esclavagisés et aux mains d’un «tuteur» qui les soumet à l’arbitraire. Les Saoudiens, ces surhommes et leurs sous-femmes, devaient se prélasser dans la soie et le velours. Si les 400 000 chauffeurs étrangers entamaient une grève, les Saoudiennes ne pourraient plus mettre leur nez voilé dehors. Si les millions de parias bloquaient la machine, l’Arabie s’arrêterait du jour au lendemain. 

Mais elle ne peut plus payer. Le roi a déjà débloqué des milliards pour acheter la paix sociale, fournir un logement et des loisirs aux paresseux Saoudiens. Il veut désormais arracher les autochtones à leur léthargie. Grâce à la «saoudisation», le slogan des années 2010. Objectif : remettre princes et manants au boulot.

 

UNE SOCIÉTÉ MALADE

La dépendance vis-à-vis des étrangers se transforme en rage. On vire, on expulse. Mais on ne peut toujours pas s’en passer. 

Impossible dans un monde obscurantiste où la plus minuscule avancée féminine, clé de la modernité, est contrée par le fanatisme. Le travail des femmes briserait le tabou de la séparation entre mâles et femelles. Sexe toujours : sa hantise, doublée de l’immense ennui social, raconte une société malade. Toxicomanie galopante. Crimes et mutilations sur lesquels on jette l’ample cape d’une charia compréhensive. Le pseudo-réformisme du roi Abdallah n’a pas empêché un imam, qui avait violé et torturé à mort sa fillette de 5 ans, de sortir de prison après avoir payé les 40 000 € du «prix du sang». Fayhan al-Ghamdi était prédicateur à la télé ! 

Dans cette conjonction de solitudes asphyxiées, le soleil de l’élan collectif se lève à l’est. Du côté de Qatif, dans la province chiite qui est aussi celle du pétrole. Une minorité détestée qui constitue pourtant le seul prolétariat saoudien et vit dans la région stratégique. Depuis plusieurs années, sa révolte monte, durement réprimée. A la mesure de la vieille douleur du second islam, ce chiisme que le wahhabisme dénonce comme hérétique en insultant ses traditions et en détruisant ses tombeaux. C’est encore une foule chiite que les blindés sont allés mater, tout près, à Bahreïn, le 14 mars 2011. A l’appel du sultan sunnite, Riyad a déclenché l’opération «Bouclier de la péninsule» contre les insurgés de la place de la Perle. Une révolution écrasée, sans que personne ne bronche, par les chars du totalitarisme saoudien.

 Par Martine Gozlan

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